La propriété pied dans l’eau
Difficile de résister au charme des côtes azuréennes ou varoises, des étendues sablonneuses, des criques protégées, des caps sublimes, baignés par la Méditerranée. Heureux qui possède une maison face à la Grande Bleue, plus encore si elle bénéficie d’un accès direct, d’une plage ou d’un ponton privatif.
La mer est plus belle que les cathédrales ; nourrice fidèle, berceuse de râles (…) Elle a tous les dons, terribles et doux », écrit Paul Verlaine. « (…) Je ne connais plus délicat plaisir que celui de fouler de mes pieds ton rivage aux endroits tourmentés de la côte sauvage », poursuit Joseph Bironneau. Source d’inspiration, l’immensité azur l’est aussi depuis 1988 pour Michel Chassagne et Sonia Kovac de Waterfront Property. Entre Monaco et Saint-Tropez, les professionnels dénombrent 1956 pieds dans l’eau. Des cabanons de pêcheurs aux véritables domaines, ils composent un marché particulier, dont la rareté établit la valeur. C’est avant tout une situation exceptionnelle que brigue la clientèle. Les prix dépendent de plusieurs critères. Le paramètre géographique prime : les caps Martin, Ferrat, d’Antibes ou Bénat, la presqu’île de Saint-Tropez et les secteurs proches de Cannes et de Monaco réunissent tous les suffrages. De même, les Alpes-Maritimes l’emportent sur le Var, l’est du 83 sur l’ouest. Intervient aussi le caractère unique : l’adresse domaine privé et gardé, l’établissement sur une falaise ou sur une île telle que Le Levant, Porquerolles et Le Ribaud. On distingue également les plages de sable et de galets, le panorama animé ou grand large, la piscine d’eau de mer ou douce, l’existence d’un garage à bateau et la jouissance d’un ponton avec autorisation du domaine public par arrêté d’occupation temporaire. Impossible pourtant d’affirmer que les maisons directement édifiées sur la côte ne possèdent aucun défaut. Tout d’abord, les réseaux routiers et ferroviaires longent une large part du territoire. Depuis quelques années, le chemin du douanier a été transformé en sentier piétonnier : il n’est pas inhabituel de croiser un promeneur devant sa villa. Seule une plage commerciale, cadastrée ou sous concession peut être considérée comme privative et encore. Sinon, chacun dispose du droit de la parcourir et d’y demeurer. Le chant des cigales s’inscrit pour certains comme une litanie ennuyeuse. En été, les baies s’avèrent polluées par la fréquentation massive des bateaux. Quant à la loi Littoral, elle implique quelques contraintes d’urbanisme. Le ticket d’entrée avoisine 1,6 M €, un montant autorisant 200 m2 à rénover sur un terrain de 1000 m2 sis entre Saint-Raphaël et Sainte-Maxime. Le segment atteint couramment 25 M €. Dans cette gamme, on obtient, côté Var, 250 m2 habitables et 700 m2 de cos résiduel au sein d’une pinède de 18.000 m2. Entre Théoule et la cité maximoise, la moyenne des transactions évolue entre 2,5 et 10 M €. 100 M € sont parfois requis sur les caps ou à Saint-Tropez. Forte d’un bon rapport qualité/prix, la zone préservée des Roches Rouges de l’Estérel, qui ressemble à s’y méprendre à l’ouest américain, attire les amateurs d’intimité, d’authenticité et de sérénité. De manière générale, le 06 arbore des propriétés aux dimensions largement plus imposantes. La crise n’affecte pas réellement la catégorie, trop restreinte pour obéir aux diktats des acquéreurs. Jean-Christophe Hym d’Europa évoque les terres bénies des dieux que sont les caps Ferrat et d’Antibes. La baie des Milliardaires affiche de magnifiques spécimens comme la « Villa Hier », 1200 m2 sur 12.000 m2, le Château de la Croë, du fameux Roman Abramo-vitch, le Château de la Garoupe et la demeure voisine, désormais dans l’escarcelle de Boris Berezovski. La famille BMW y possède aussi une bâtisse. La péninsule abrite également « Occident » et la « Villa Aujourd’hui », conçue par l’architecte Mallet-Stevens pour John Warner. A condition que la parcelle flirte avec la Grande Bleue, le moindre cabanon vaut ici 3 M €. La portion comprise entre le port Camille-Rayon et Cannes compte une dizaine de maisons sur la Méditerranée, dont la construction tentaculaire du Roi Fahd. A l’exception de celle-ci, les unités, situées dans un environnement moins qualitatif entre la route et la mer, s’échelonnent de 3 à 10 M €. Cannes ne présente que quatre pieds dans l’eau. L’un d’entre eux s’est récemment illustré dans la presse : un Monégasque achète une villa basique sur les rochers avant de se porter acquéreur d’« Orion », juste au-dessus de l’autre côté de la voie ferrée. Il perce un tunnel sous le passage du train de façon à rassembler les deux entités et envisage la rénovation complète de la seconde. Autre transaction qui n’est pas passée inaperçue : l’obtention en 2008 par un Indous, à la tête d’une équipe de Formule 1, d’une compagnie aérienne et d’une marque de bière, de la seule propriété privée des îles de Lérins. « Tous apprécient le produit, mais les plus férus viennent des pays froids », précise Jonathan Gray de Beauchamp Estates, une antenne sur la Côte d’Azur de la prestigieuse structure londonienne. Les ressortissants d’Europe de l’Est, Russes, Ukrainiens, Kazaks ou Polonais, lui vouent une affection viscérale. Ils déboursent 5-6 M € minimum, 100 M € assez fréquemment, juste pour le plaisir de traverser un parc complanté d’essences méditerranéennes avant de se jeter dans les eaux bleutées. Une fois les caps et Beaulieu pris d’assaut, ils jettent leur dévolu sur Saint-Tropez. La crise intervient, les touchant de plein fouet au point que certains n’hésitent pas à revendre. Après la tempête financière, les oligarques pourraient bien s’intéresser à la côte varoise. Les Britanniques font montre d’une préférence nette pour les promontoires rocheux, réminiscences des paysages de leur enfance. Prêts à engager 30 M €, ils ne font pas de l’accessibilité une condition première. Les Scandinaves sont davantage soucieux de la qualité des prestations. Ils n’aiment pas particulièrement la vue pleine mer à laquelle ils préfèrent de loin le littoral avec ses découpes et ses lumières. Pourvus de 15-20 M €, ils raffolent des ouvertures sur Villefranche et Beaulieu depuis Ferrat ou sur les îles de Lérins, la baie de Cannes ou Antibes, permises par l’avancée de terre de la deuxième ville des Alpes-Maritimes. Le roi de Suède s’est offert un exemplaire à Sainte-Maxime. Les Français choisissent le Var. Même si quelques-uns détiennent les fonds induits par les belles azuréennes, ils manifestent davantage le désir de morceler l’investissement. L’histoire et l’évolution des goûts immobiliers rendent finalement justice aux femmes qui recevaient en héritage ces maisons peu sûres et ce foncier marécageux que les hommes abandonnaient volontiers au profit de l’intérieur.
Par Laetitia Rossi
